DGp10 – L’évaluation socio-économique des projets de prévention des inondations

prévention inondation évaluation socio-économique

Décembre 2021

Reine TARRITCerema
Matthieu LUBRANOCerema
Manon ALBINCerema

Sommaire :    

 

Cette fiche présente les principes, les étapes de réalisation et les attentes de l’évaluation socio-économique des projets de prévention des inondations. Cette évaluation est notamment obligatoire dans le cadre des programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) pour les opérations de ralentissement des écoulements (bassins de rétention, restauration du lit de la rivière…) et les ouvrages de protection hydraulique (digues…) dont le coût est supérieur à 2 M€ HT.

1 – L’AMC/ACB appliquée à la gestion des inondations

1.1 Principe

L’analyse coûts-bénéfices (ACB) et l’analyse multi-critères (AMC) sont des méthodes d’évaluation socio-énonomique dont le principe est de comparer les impacts négatifs d’un projet et les bénéfices qu’il permet d’engendrer par rapport à une situation de référence (sans projet).

Dans le cadre de l’ACB appliquée aux projets de prévention des inondations, les impacts négatifs sont représentés par les coûts des ouvrages et les bénéfices correspondent aux dommages évités grâce à leur réalisation.

Deux indicateurs monétaires permettent d’évaluer la rentabilité (ou efficience) du projet d’aménagement :

  • la Valeur Actualisée Nette ou VAN (Bénéfices–Coûts) : montant que le projet permet d’économiser, déduction faite des coûts ;
  • le rapport Bénéfices/Coûts (B/C) : bénéfice du projet rapporté à l’euro investi.

L’ACB permet d’évaluer la rentabilité d’un projet

La méthode AMC développée par le ministère en charge de la prévention des risques, est une analyse coûts-bénéfices « étendue ». Elle intègre, en plus des indicateurs monétaires de l’ACB, des indicateurs permettant de capter les bénéfices non monétarisables des projets. Elle permet une évaluation de la réduction de la vulnérabilité du territoire (via le calcul d’indicateurs élémentaires avant et après projet) et une évaluation de l’efficacité du projet (indicateurs synthétiques).

Les indicateurs élémentaires sont présentés et commentés dans le tableau (extrait du guide méthodologique AMC) ci-dessous :

Les indicateurs synthétiques agrègent les informations obtenues à l’aide des indicateurs élémentaires monétaires et des indicateurs d’enjeux « habitants » et « emplois ». Les indicateurs « moyens annuels » permettent d’évaluer l’impact de plusieurs scénarios d’inondation pondérés par leurs probabilités d’occurrence.

L’analyse de ces indicateurs facilite la prise de décision et permet de comparer plusieurs projets entre eux.

 

1.2   Objectifs

L’AMC constitue un outil d’aide à la décision pour les maîtres d’ouvrage et leur permet notamment de :

  • Comparer des solutions alternatives pour la gestion du risque inondation en phase d’élaboration d’un projet :
    • Est-il préférable d’opter pour une solution de protection hydraulique, de ralentissement dynamique ou pour une combinaison des deux ?
    • L’ensemble des mesures constituant le projet est-il nécessaire/pertinent ?
    • Le niveau de protection assuré par le projet est-il le plus pertinent ?
    • Une délocalisation des enjeux n’est-elle pas plus pertinente qu’un ouvrage de protection ?
  • Juger la pertinence du projet in fine retenu :
    • Évaluer si le projet est pertinent et équilibré (par une analyse précise des bénéfices et des coûts),
    • Évaluer comment les bénéfices sont répartis géographiquement sur le territoire et par nature d’enjeux (équité),
    • Donner du sens au projet par une caractérisation « physique » concrète de son impact (alimente la concertation et la consultation du public).

L’AMC et l’ACB sont également incontournables pour l’octroi des subventions de l’État (Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs) via la labellisation PAPI. Elles contribuent à l’analyse de l’intérêt des investissements pour la société dans son ensemble.

Ces analyses sont effectivement obligatoires pour les mesures structurelles des axes 6 et 7 modifiant l’aléa inondation et les travaux de sécurisation d’ouvrage sans augmentation du niveau de protection :

  • une AMC doit être réalisée quand le coût total d’un groupe d’opérations structurelles cohérentes d’un point de vue hydraulique (opérations dont les zones d’impact hydraulique se recoupent) dépasse 5 M€ HT;
  • et une ACB est exigée pour les groupes d’opérations compris entre 2 M€ et 5 M€ HT (seuls les coûts et les bénéfices monétaires sont à évaluer).

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2 – Les étapes de l’AMC

La méthode AMC est décrite dans le guide méthodologique national : Analyse multicritère des projets de prévention des inondations, CGDD, mars 2018 et ses annexes techniques.

Les éléments attendus d’une AMC réalisée dans le cadre d’un PAPI sont précisés en annexe 4 du cahier des charges PAPI 3 (version 2021).

Les points principaux des différentes étapes de l’élaboration de l’AMC sont rappelés dans la présente partie.

2.1 Définition du périmètre d’analyse

L’identification du périmètre d’étude est l’étape préalable à l’analyse et englobe la définition :

  • de la situation de référence (sans projet), essentielle à la comparaison des bénéfices et des coûts par rapport à la situation aménagée (avec projet et augmentation du niveau de protection) ;
  • du périmètre géographique : emprise maximale de l’aléa (scénario extrême) et limites amont et aval de l’impact hydraulique des mesures étudiées.

2.2 Caractérisation des aléas

Pour construire les courbes dommages-fréquences qui serviront à estimer les indicateurs moyens annuels, 4 scénarios d’aléa au minimum doivent être caractérisés, avant et après la réalisation du projet :

  • scénario de premiers dommages,
  • scénario de dimensionnement du projet,
  • scénario de fin d’impact de l’ouvrage,
  • scénario d’aléa extrême.

Les paramètres de l’aléa nécessaires au calcul des dommages à tous les enjeux sont la hauteur d’eau et la durée de submersion. Pour certains enjeux, la vitesse d’écoulement est également utile.

2.3 Caractérisation de l’occupation du territoire

Pour le calcul de dommages, au minimum 4 catégories d’enjeux doivent être obligatoirement recensées, pour chaque scénario d’aléa considéré, avant et après projet : les logements, les activités économiques, les enjeux agricoles et les équipements publics.

Pour l’estimation des indicateurs élémentaires d’enjeux, il faut également quantifier :

  • les habitants et les emplois en zone inondable, pour tous les scénarios d’aléa ;
  • et pour le scénario de dimensionnement du projet : les établissements sensibles, les bâtiments participant à la gestion de crise, les entreprises aidant à la reconstruction, les stations de traitement des eaux usées, les capacités de traitement et de stockage des déchets, les sites dangereux et les bâtiments patrimoniaux.

Le guide méthodologique AMC et ses annexes proposent des méthodes et des bases de données utiles pour cette étape. Des reconnaissances terrain s’avèrent parfois indispensables pour préciser les caractéristiques de certains enjeux (surélévation du bâti, sous-sols…).

2.4 Analyse élémentaire

Cette étape permet notamment, d’identifier et de qualifier les bénéfices et les coûts des mesures étudiées.

Évaluation des coûts du projet :

Les coûts du projet à intégrer dans l’analyse se décomposent en deux catégories :

  • les coûts d’investissement en € HT comprennent : les coûts des travaux, des études, du foncier et des mesures correctives (compensatoires) ;
  • les coûts d’entretien, de maintenance et d’exploitation en € HT/an (à évaluer en fonction du type d’ouvrage ou, à défaut, 3 % des coûts d’investissement) et les éventuels coûts de réparation de l’ouvrage en cas de détérioration.

Estimation des bénéfices monétaires :

Le principe de cette étape consiste à :

  • quantifier les dommages évités grâce à la mise hors d’eau d’enjeux ou l’abaissement de la ligne d’eau,
  • en comparant les dommages avant et après mise en place du projet pour différents scénarios d’inondation,
  • en tenant compte de leurs probabilités d’occurrence.

Le principe de l’estimation des bénéfices est résumé dans l’illustration ci-dessous :

Dans un premier temps, il s’agit de croiser l’aléa avec les enjeux à l’aide d’un outil SIG (Système d’Information Géographique) pour affecter à chaque enjeu les paramètres d’aléa (hauteur d’eau…) correspondants.

Les fonctions de dommages, appropriées au type d’enjeu, sont ensuite appliquées aux résultats de ce croisement afin d’estimer les montants de dommages associés.

Ces fonctions sont fournies par le guide national AMC pour les 4 types d’enjeux obligatoires.

Les montants de dommages ainsi estimés pour les différents scénarios avant et après projet, permettent de construire des courbes dommages-fréquences et d’estimer les dommages moyens annuels (DMA) actuels et futurs. Le DMA exprime ce que coûte en moyenne par an l’ensemble des crues possibles sur le territoire.

Les bénéfices ou dommages évités moyens annuels (DEMA) correspondent à la différence entre les DMA actuels et futurs, soit graphiquement à l’aire entre les deux courbes dommages-fréquences (Cf. schéma ci-dessus).

Estimation des bénéfices non monétaires :

Les bénéfices non monétaires du projet correspondent au nombre d’enjeux « sortis » de la zone inondable (ZI) par la mise en œuvre du projet.

Pour les indicateurs élémentaires d’enjeux estimés seulement pour le scénario de dimensionnement, les bénéfices correspondent donc à la différence entre le nombre d’enjeux exposés avant projet et  après projet.

Pour les indicateurs P1 (nombre de personnes habitant en ZI) et P7 (nombre d’emplois en ZI), calculés pour les différents scénarios d’inondation, les bénéfices seront représentés par le nombre moyen annuel (NEMA) d’habitants ou d’emplois « protégés » par le projet.

Le NEMA est calculé sur le même principe que le DEMA.

2.5 Analyse synthétique

Cette étape consiste à calculer les différents indicateurs synthétiques présentés au paragraphe 1.1.

L’analyse synthétique permet d’approfondir l’analyse élémentaire et de définir :

  • l’efficacité du projet : capacité à atteindre ou non les objectifs fixés par le porteur,
  • son rapport coût-efficacité,
  • et son efficience ou rentabilité (optimisation des ressources).

Pour le calcul des indicateurs d’efficience (VAN, B/C) et de coût-efficacité (Cmoy/NEMA), les coûts et bénéfices qui s’échelonnent dans le temps doivent être considérés sur une durée de 50 ans (horizon temporel) et actualisés (ramenés à leur valeur actuelle). Le taux d’actualisation recommandé est de 2,5 % jusqu’en 2070, et de 1,5 % au-delà.

2.6 Interprétation des résultats et conclusion

Sur la base des résultats obtenus pour les indicateurs de synthèse et des différents éléments intermédiaires issus de l’analyse (répartition géographique ou par type d’enjeux des bénéfices et « pertes », critères qualitatifs…), un avis synthétique doit être formulé sur le projet et ses variantes du point de vue socio-économique.

Afin d’illustrer l’interprétation des résultats des indicateurs synthétiques, le guide méthodologique AMC présente un exemple (rappelé ci-dessous) reposant sur un cas d’étude :

Les résultats montrent que :

  • en moyenne, 54 habitants (et 16 emplois) sont protégés par le projet chaque année, soit 78 % de la population (resp. 89 % des emplois) inondée(s) pour le scénario de référence ;
  • le projet réduit de 74 % les dommages moyens annuels causés par les inondations sur le périmètre d’étude ;
  • le projet coûte, en moyenne, chaque année, 7 042 € par habitant protégé ;
  • à l’horizon temporel de 50 ans, le projet permet d’économiser 8,4 M€ ;
  • sur 50 ans, pour chaque euro investi, le projet « rapporte » 1,78 €.

Une analyse de sensibilité et d’incertitude, a minima sur la VAN et sur le rapport B/C, doit être menée. Elle permet de mesurer l’impact des différentes hypothèses (périodes de retour des évènements, montants des coûts et des dommages estimés…) sur les résultats et de définir leur robustesse.

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3 – Principaux éléments attendus d’une étude AMC/ACB à préciser dans le CCTP

La maîtrise d’ouvrage des études ACB et AMC revient au porteur de projet PAPI, qui en confie le plus souvent la réalisation à des bureaux d’études.

À noter qu’elles sont éligibles, sous conditions, à des financements de l’État (taux maximum de 50 %).

Cette partie propose les principaux éléments à faire figurer par le maître d’ouvrage (MO) dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) d’un marché d’étude AMC ou ACB :

Contexte de l’opération :

  • Objet / forme du marché
  • Porteur de projet
  • Contexe du PAPI : acteurs, stade d’avancement…
  • Projet d’aménagement : objectifs, description…
  • Calendrier prévisionnel du projet.

Descriptif des prestations :

  • Documents de référence : guide méthodologique AMC, CdC PAPI 3, rappel des étapes de la méthode à suivre.
  • Périmètre de l’étude :
    • indications pour la définition du périmètre géographique,
    • carte de localisation des aménagements et du périmètre à fournir ,
    • éléments pour la détermination de la situation de référence et de l’horizon temporel de l’analyse.
  • Recensement des enjeux :
    • catégories d’enjeux à traiter et bases de données à utiliser (préciser celles fournies par le MO et celles à acquérir par le candidat),
    • caractéristiques nécessaires pour appliquer les fonctions de dommages,
    • enquête de terrain et échantillonnage (hauteur de premier plancher des bâtis, étages…) à réaliser,
    • tableaux et cartographies à fournir.
  • Évaluation des dommages :
    • types de dommages à considérer : monétaires (directs, indirects), non monétaires,
    • méthodologie à suivre : celle du guide AMC,
    • fonctions de dommages à utiliser (ou à développer) et à actualiser,
    • scénarios d’aléas à considérer et demande de justification des choix des périodes de retour : préciser les données (disponibles ou à venir) fournies par le MO,
    • cartographie d’aléas et tableaux synthétiques des données à présenter.
  • Évaluation des coûts du projet :
    • types de coûts à considérer : préciser les données disponibles ou les études de maîtrise d’œuvre en cours sur lesquelles se baser,
    • précaution : veiller à la cohérence des coûts considérés dans l’AMC/ACB avec les fiches-actions, l’annexe financière et l’échéancier.
  • Analyse élémentaire et synthétique :
    • indicateurs à estimer et demande de détail des calculs,
    • cartographies attendues,
    • présentation synthétique des résultats et interprétation.
  • Analyse d’incertitude et de sensibilité : méthode, paramètres à tester.

Conditions de réalisation de la mission :

  • Calendrier : durée maximale de l’étude, date de démarrage et dates butoirs, demande d’un calendrier prévisionnel détaillé des prestations,
  • Modalités de suivi de la prestation : réunions de travail, CoTech, CoPil (nombre, objectifs, participants…).

Livrables :

  • Liste et format des livrables attendus : rapport d’étude AMC, fiche de présentation synthétique de l’AMC, fichiers de calculs, notes techniques, documents graphiques…
  • Délais de validation des documents par le MO et de reprise par le titulaire,
  • Délais de transmission du rapport définitif.

 

Références :

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Analyse multicritère des projets de prévention des inondations, Guide méthodologique, mars 2018

 

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Analyse multicritère des projets de prévention des inondations, Annexes Techniques, mars 2018

 

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L’évaluation socio-économique des projets de prévention des inondations en France, juin 2019, CGDD

 

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L’évaluation socio-économique des projets de prévention des inondations, MTE, octobre 2020

 

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L’AMC, une aide à la décision au service de la gestion des inondations, CEPRI, septembre 2019